Lors de la table ronde qui a suivi les interventions, l’une des questions posées étaient : «quels sont les principaux freins au développement de l’Insurtech» ? Il est clair que partout dans le monde, les contraintes réglementaires sont souvent perçues comme des obstacles majeurs à l’innovation. En réalité, elles ne sont jamais insurmontables et peuvent parfois générer une certaine forme de créativité [1]. Mais après réflexion, il semble que l’écueil majeur se trouve ailleurs. En effet, souvent les résistances les plus fortes sont d’ordre culturel et il se pourrait que le principal problème soit lié à une méconnaissance des principes-clés de l’assurance dans la «nouvelle économie». Par nouvelle économie, j’entends celle qui se développe du fait de la révolution digitale en-cours. Ce nouveau terrain de jeu est me semble-t-il, caractérisé par les dix principes suivants :

1. L’actuariat 2.0 ou l’assurance comportementale (Big Data) : grâce à l’entrée dans un monde de capteurs via l’utilisation des objets connectés et du Big Data, l’estimation du risque se fera de plus en plus par l’utilisation de corrélations (vs les tables de statistiques traditionnelles). La difficulté est qu’il faut beaucoup de données et une durée d’observation longue pour oser utiliser et valider ces nouveaux modèles d’estimation du risque et leurs résultats. De ce fait, il faut s’y engager dès à présent. Des insurtech utilisent déjà ces nouveaux modèles comme Météo Protect en France.

2. La société à risque faible et le nouveau paradigme de la «prévention as a service» : les assurances vie, auto, santé, MRH représentent 90% du chiffre d’affaires des compagnies européennes [2]. Or, grâce aux nouvelles technologies (voitures autonomes, maisons connectées, villes intelligentes, transhumanisme) il est très probable que les risques liés aux principales «matières assurables» diminueront régulièrement d’ici les 20 prochaines années. De ce fait, on va assister à un déplacement du cœur de la fleur de services de l’assurance à la prévention. Pour plus de détail, cf. mon précédent article «Le business model gagnant de l’assurance en 2035 tournera autour de la prévention». L’assureur sud-africain Discovery a lancé depuis très longtemps son programme de prévention Vitality et a noué de nombreux partenariats avec des assureurs américains, européens et asiatiques, le dernier en date étant avec Generali qui compte le déployer en France dès 2017.

3. La prestation sans contact. Grâce à la technologie de la blockchain, il existe par exemple une assurance voyage qui via le service Oraclize permet aux passagers victimes du retard de leur vol d’être automatiquement indemnisés sans aucune relation avec leur assureur. On peut considérer que le système actuel du tiers payant en assurance santé est une bonne illustration de ce principe en utilisant d’autres technologies.

4. Le Pepper conseil (Intelligence Artificielle) : du nom de ce robot très en vogue et commercialisé par la société Aldebaran, la dimension de conseil qui est au cœur du métier de l’assureur sera de plus en plus investie par des systèmes d’intelligence artificielle. C’est déjà le cas en assurance-vie avec des insurtech comme Yomoni, Advize, Marie-Quantier.

5. L’assurance à la carte ou «on-demand» : grâce à des systèmes d’information de plus en plus agiles, les assurés peuvent d’ores et déjà définir et modifier le périmètre de leur couverture, moduler la durée, les niveaux de franchise et de carence et obtenir en temps réel la tarification correspondante. C’est ce que propose l’insurtech Trov adossée à l’assureur australien Suncorp.

6. L’assurance « longue traîne » : ce concept popularisé par Chris Anderson et décrit dans son livre «La Longue Traîne : Quand vendre moins, c’est vendre plus«, désigne la stratégie de vendre une grande diversité de produits, chacun en petite quantité sur des niches spécifiques. Amazon ou Netflix sont des exemples d’application de cette stratégie. Compte tenu de la très grande variété des risques à assurer et des matières assurables, cette stratégie pourrait très bien s’appliquer dans l’assurance. Un assureur «longue traîne» se spécialiserait dans la couverture de multiples niches de risque avec la nécessité sans doute d’assurer une cohérence pour générer des synergies et réaliser des économies d’échelle.

7. Matière assurable à usage partagé. Nous sommes entrés dans une économie ou de nombreux biens se partagent : les voitures (Blablacar, Drivy), les logements (Airbnb), les outils (Bricolib). Il est indispensable pour les assureurs de se positionner sur ce nouveau mode de consommation pour lequel l’usage prévaut sur la possession. Certains le font déjà (AXA, Allianz et La Maif) et la plate-forme Lenderbot permettra bientôt d’assurer des prêts d’objets entre particuliers.

8. Assurance collaborative ou P2P : Plusieurs modèles existent. Ils reposent sur la transformation de groupes d’assurés en communautés. En cas de prestations lourdes c’est l’assureur qui paie. Pour les petites prestations, c’est la communauté. Si la communauté est vertueuse, une partie des primes peut être remboursée. Deux acteurs français ont développé de telles plates-formes, Inspeer et tout récemment Otherwise.

9. L’assuré assureur : c’est le fait pour un assureur d’organiser son portefeuille d’assurés en communautés. C’est un atout formidable pour optimiser la connaissance client, développer des espaces de co-création et régénérer l’esprit de solidarité. C’est le modèle de la mutuelle transposé dans la nouvelle économie.

10. L’assurance agrégée : Dans le but d’aider les assurés à mieux rationaliser la gestion de leurs différents contrats d’assurances, des insurtech ont développé des applications mobiles d’agrégation de contrats. C’est le cas de Fluo et Financefox en France.

Une bonne maîtrise de ces dix principes et de leurs applications stratégiques est sans doute une clé pour dessiner l’assureur de la nouvelle économie, pour séduire les nouvelles générations et pour resister aux menaces éventuelles de nouveaux entrants.

Jean-Claude Sudre